Léonard y a pensé toute la nuit. Son insomnie l’a emmené dans une immense cathédrale. D’innombrables trompettes résonnaient dans la nef. Un orgue majestueux lançait des salves de notes triomphantes. Des tambourins joyeux marquaient le rythme et un violon solo lui étourdissait le cœur de déchirantes envolées célestes.
Au réveil, il s’installe à son pupitre. Une profusion de notes lui envahit le corps. Au point de lui chavirer l’esprit. C’est plus fort que lui. Il est la musique, les instruments, les musiciens et le public. Il entend déjà les applaudissements qui marquent le triomphe de l’orchestre. La pièce n’est pas encore écrite, pourtant mais tout est déjà là. Comment est-ce possible ?
Léonard fait silence en lui. Un silence sur lequel vont se poser toutes les musiques qu’il a dans le cœur. Ça vibre tellement que c’est presque insupportable. Jouant au chef d’orchestre, il imprime à sa baguette le mouvement d’amorce de cette symphonie potentielle. Chaque cellule de son être se met à l’unisson. Et la musique s’élève, comme une colonne de fumée. Ténue d’abord, puis de plus en plus sonore, de plus en plus puissante, elle envahit tout. Il n y a plus que musique.Léonard a disparu. Ça s’enflamme dans les aigus, ça sombre dans les graves, ça ruisselle de notes, ça martèle de percussions et ça se repose dans une douce mélodie au piano. Et tout ça en un même mouvement, une même vibration.
De l’autre côté de son esprit, les musiciens se régalent de la partition qui s’impose à eux. Casque sur les oreilles, ils jouent comme dans un rêve impossible à décrire. Ils jouent ce que Léonard a dans la tête. Aucune répétition pour cette improvisation de l’instant. Tout est parfaitement synchrone. Les yeux fermés, ils jouent, inspirés de l’intérieur. Ils sont Léonard et la symphonie qui naît dans leurs doigts agiles. Un miracle toujours renouvelé, à mesure que le morceau se déroule. Jusqu’à la dernière note et le crépitement des mains qui applaudissent.