Rose des sables

Chaque jour, c’est le même rituel, la même agonie intime, qu’il s’inflige à lui-même depuis maintenant… il ne sait même plus combien de
temps. Lorsque le soleil commence à rosir et flamboyer de tous ses
rayons du soir, Hamid va s’asseoir sur le banc, dans le jardin public
aux senteurs de jasmin. Chaque soir, il attend en se rongeant les
sangs, que vienne sa bien-aimée, celle qui hante ses nuits et ses
jours sans qu’il ait pu même lui adresser un seul mot. Alors que le
muezzin chante son appel à la prière du soir, Hamid, lui,
écarquille ses yeux humides d’avoir trop attendu. Chaque soir, entre
chien et loup, sa rose des sables se promène avec ses dames de
compagnie, toujours la même promenade. Une promenade d’où fusent
rires en cascade et bavardages précieux. Des femmes entre elles qui
refont leur monde le temps d’une courte marche, parce que c’est
peut-être le seul moment de la journée où elles ont un peu de
liberté dans leurs mouvements. Et cette promenade, bénédiction des
dieux, passe devant le banc où est assis Hamid. La première fois
qu’il a vu sa douce, elle ne l’a même pas remarqué. Deux univers
qui se croisent sans se rencontrer. Ebloui par la fraîcheur de son
teint, la délicatesse de ses mains, et son visage sculpté dans une
rose de Damas, il est resté comme hypnotisé. Le lendemain, il est
retourné sur le banc, à la même heure et il l’a revue. Elle ne l’a
pas plus remarqué que la veille. Ni les jours suivants. Son cœur
meurtri ne peut se faire une raison. Il sait bien pourtant que cette
femme est d’une haute lignée, c’est peut-être même la fille du
sultan, oui c’est ça, c’est la fille du sultan qui se promène
incognito avec ses servantes, pour échapper aux contraintes
mondaines du palais. Et par chance, Dieu a voulu qu’elle passe près
de ce banc où il aime contempler le panorama. Alors il s’est dit que
ça n’était sûrement pas un hasard. Dieu a voulu qu’il la croise,
et tous les jours…Il s’est rêvé tant de fois à son bras, à la
faire danser jusqu’à l’ivresse. Si elle pouvait imaginer, ne
serait-ce qu’un instant, les sentiments qu’il nourrit pour sa
personne délicate, c’est sûr, elle en serait touchée. Alors,
chaque soir, il espère un regard, il mendie en silence, sans oser le
moindre mouvement vers elle.

Mais ce soir-là, il a comme un pressentiment, une lueur d’espoir infime
mais plus forte que les autres jours. Assis sur son banc, il attend.
Lorsque la belle apparaît, elle se dirige vers le banc, oui, il ne
rêve pas, elle va droit vers lui. Mon Dieu,merci, merci infiniment
pour ce cadeau inestimable. Ses yeux humides débordent maintenant de
larmes de gratitude. Souriante, la jeune femme lui tend un petit
objet en lui disant ces mots : «  Grand-père, voilà des
jours et des semaines que je te vois assis sur ce banc. Tu es
toujours là quand nous passons, de retour du hammam. Tu as touché
mon cœur. Je t’offre cette rose des sables en remerciement de tous
ces regards tendres dont tu me gratifies chaque soir. Demain, je me
marie, c’est ainsi, mon père l’a décidé et je ne peux pas aller
contre la parole du sultan. Nous ne somme pas de la même condition
mais j’ai vu que ton cœur était pur alors, quelle différence cela
peut-il bien faire ? Adieu, grand-père ! »

 

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